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Articles littéraires et philosophiques

Essai: Du Père-Dieu à Dieu le Père

Je vais déroger un peu à mes analyses habituelles sur les œuvres ou leurs auteurs, car j’aimerais communiquer quelques réflexions au sujet de deux personnes qui ont choisi une vocation religieuse dans des conditions similaires, qui m’ont menée à des conclusions identiques quant à leurs motivations, notamment psychologiques.

La première, je l’ai bien connue ; je l’appellerai Marie afin de préserver son anonymat.

Famille aisée, belle demeure, le père exerce un bon métier.

Ce père était le roi de la maisonnée. Sa mère, une très gentille femme, soumise au tyran domestique. Seule fille entre deux garçons, Marie était au service des mâles, petits et grand. Par exemple, elle avait pour tâche de cirer les chaussures de ses frères.

Mais voilà qu’adulte, elle échappe aux mains du Tyran familial : Elle pratique consciencieusement la profession de secrétaire jusqu’à ses 21 ans. Puis, majeure (à l’époque la majorité était à cet âge), elle décide d’entrer au couvent, échappant ainsi définitivement à son maître de père.

Elle se permet ainsi de quitter en bonne conscience le dieu terrestre, mais pour mieux se soumettre au Dieu céleste. Une soumission totale remplace une soumission tout de même relative.

N’est-pas tomber de Charybde en Scylla ? Comment interpréter une telle “libération”?

J’y vois à la fois une satisfaction et une expiation : Satisfaction de se libérer du tyran terrestre, mais aussi, pour avoir osé le faire, expiation en se mettant complètement au service de l’autre Père.

Mais pourquoi se punir? Pourquoi ne peut-elle pas simplement se libérer? Pourquoi choisir une soumission plus totale à un Maître encore plus exigeant ?

C’est qu’elle doit expier sa fuite, son « insoumission ».

Petit enfant, elle a introjecté l’image d’un père tout-puissant, protecteur, auquel l’ensemble de la famille doit tout, et auquel elle voit sa mère soumise sans contestation. Cette image paternelle reste dans l’inconscient et charge sa fuite de culpabilité.

C’est ainsi que sa « libération » se solde par un sacrifice plus grand encore.

 

Deuxième cas: celui d’une femme que je nommerai Jeanne.

Famille aisée aussi, le père directeur de banque.

La mère est enseignante, mais quitte son métier assez tôt. Elle était gentille, de santé fragile, soumise elle-aussi, avec une tendance à la dépression.

Ici, le père-tyran cherche à diriger la vie de sa fille en lui imposant une profession: devenir médecin. Elle n’en a aucune envie, se soumet quand même, mais après trois ou quatre ans d’études médicales elle décroche et entre au couvent, échappant ainsi, et de la même manière, au tyran familial.

Pour se soumettre ici aussi à un autre maître, plus exigeant encore. Même phénomène de satisfaction et d’autopunition en même temps que chez Marie. Même culpabilité vis-à-vis d’un père protecteur et puissant dont l’image reste dominante dans l’inconscient du sujet.

Ce qui montre bien le caractère dirais-je secondaire de la vocation dans le cas de Jeanne, c’est le fait qu’elle est devenue religieuse plus tard dans la vie civile et qu’elle donnait… des cours de danse!

Voici deux destins parallèles où l’on voit que la femme ne s’autorise à se libérer d’un père-tyran qu’en payant un prix exorbitant : On quitte une sujétion pour en choisir une encore plus totale afin d’expier, se faire pardonner.

Ce sont deux cas qui m’ont semblé assez éloquents pour que j’ose cette hypothèse explicative.